INTERVIEW : Elen MAILFERT assistante sociale, spécialisée dans la santé et le travail
Assistante sociale, Elen MAILFERT – Youner – Interview
1. Pour commencer, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Elen Mailfert :
Je suis assistante sociale spécialisée en santé au travail depuis plus de 15 ans. J’ai été quelque temps formatrice et cadre médico-social dans ce secteur ainsi que celui du le handicap. Formée au management, j’ai aussi souhaité reprendre un cursus d’étude pour obtenir le titre de psychologue du travail. Je l’espère d’ici deux ans.
Aujourd’hui, je suis installée en libérale en tant que consultante psychosociale et organisme de formation. J’interviens auprès de particuliers et d’entreprises autour de la santé au travail et des transitions professionnelles.
2. Vous êtes assistante sociale depuis plus de 10 ans, comment l’idée du travail social libéral vous est venue ?
Elen Mailfert :
Au fil de mon parcours professionnel, j’ai constaté que la santé au travail et les transitions professionnelles sont étroitement liées. Expérimentée dans le domaine du maintien en emploi, ma formation en psychologie du travail m’a amené à ressentir le besoin de déployer une approche psychosociale et intégrative des personnes que j’accompagne. En France, les différents cadres d’exercice de l’assistante sociale autorisent peu ou pas cette latitude d’exercice de notre profession. C’est donc avec la volonté de tendre vers une façon de travailler plus qualitative et cohérente que j’ai été amenée à faire ce choix. J’ai ainsi la latitude d’orienter ma pratique autant vers des approches individuelles que collectives. Je retrouve aussi une indépendance dans le déploiement de mon réseau professionnel qui est essentiel dans ma façon de travailler en interdisciplinarité.
3. Auprès de quel public intervenez-vous et pour quels types de besoins les personnes sont-elles amenées à vous solliciter ?
Elen Mailfert :
En entreprise, je propose une prestation de service psychosocial du travail qui répond aux besoins de conciliation de la vie professionnelle et personnelle des salariés dans les entreprises. A l’interface entre ces deux sphères, c’est un service d’appui privilégié aux collaborateurs des Ressources Humaines. La formation et les interventions s’articulent autour de la prévention des risques psychosociaux et/ou du maintien en emploi lorsque l’entreprise souhaite s’engager dans une stratégie en santé au travail qui prend en compte l’ensemble de ses trois dimensions : sociale, physique et psychique.
En consultations au cabinet, je m’adresse à un public d’actifs (salariés, entrepreneurs, demandeurs d’emploi…) qui :
- Font face à la maladie et/ou un handicap qui impacte leur travail
- Sont en situation de souffrance au travail
- Sont en questionnement sur le parcours professionnel
- Sont en perte de sens dans leur vie personnelle et professionnelle.
Je réalise également des bilans de compétence pour les particuliers et entreprises.
4. Tout au long de votre carrière, vous vous êtes spécialisée dans les questions liées au travail. On dit souvent que le travail est vecteur d’insertion sociale, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?
Elen Mailfert :
Spontanément, je répondrais oui. Néanmoins, cette question mérite une réponse plus étayée. Je pense qu’il est fondamental d’être préalablement au clair avec ce que nous entendons par « travail ». On a souvent tendance à le réduire à la notion d’emploi. Cette précision est importante pour aborder la question de l’insertion sociale dans notre société. Si on réduit le travail au simple fait d’occuper un emploi, nous disqualifions d’office un nombre conséquent de catégories d’individus (retraités, enfants, personnes en situation de handicap, demandeurs d’emploi…) d’une possible insertion sociale. C’est malheureusement une précision souvent occultée et qui nous pousse à croire que le plein emploi serait gage d’une bonne santé sociale individuelle et collective.
Le travail dans ses formes plurielles est évidemment un vecteur d’insertion sociale. Comme dans toute activité du quotidien participant à prendre sa place et se sentir utile au monde, le travail participe au développement du pouvoir d’agir des individus et à l’altérité.
5. Il y a plus d’une vingtaine d’année, les premières affaires de suicide en entreprise ont été révélées au grand public. Selon vous, ce sujet est-il toujours d’actualité ? Comment les entreprises peuvent-elles se saisir du sujet ?
Elen Mailfert :
Je dirais oui même si le lien entre travail et suicide demeure complexe à mettre en évidence. En France, une personne meurt par suicide toutes les 40 minutes et toutes les 2 minutes 30, une personne réalise une tentative de suicide.
Les connaissances statistiques autour du suicide sont relativement bien développées. Cependant, celles ayant un lien direct avec le travail restent encore méconnues. On peut tout de même considérer que les statistiques concernant les troubles psychiques liés au travail sont des indicateurs d’alerte à considérer, notamment entre dépressions et travail. Pour illustrer, une étude de Malakoff de 2023 indique que plus des 2/3 des salariés sont ou ont été concernés par un trouble de santé psychique. Et, 32 % des salariés présentant un état de santé mentale fragilisée le sont en raison de leur travail.
Dans mes consultations individuelles, je suis régulièrement amenée à évaluer le risque suicidaire. Cela peut être auprès de personnes en situation de souffrance au travail. L’intention d’un passage à l’acte suicidaire n’est généralement pas la difficulté première de la personne. La demande s’articule plutôt autour de problématiques d’épuisement, de conflit au travail ou de harcèlement. C’est au détour d’un entretien exploratoire et d’une évaluation que la question est amenée à être posée.
En entreprise, le sujet du suicide demeure encore tabou. En psychopathologie du travail, la crise suicidaire est d’ailleurs un mode de décompensation répertoriée dans les pathologies de la solitude. Elle est souvent la résultante de situations de travail délétères. C’est pourquoi, sa prévention nécessite de s’inscrire dans une démarche collective de prévention des risques psychosociaux. La sensibilisation de l’ensemble des collaborateurs et l’anticipation d’un protocole d’urgence sont essentiels pour savoir réagir et protéger. L’assistante sociale peut tout à fait être un interlocuteur privilégié dans ces situations de crises pour mener une évaluation du risque et orienter la prise en charge de la personne.
Une fois l’urgence gérée, un tel événement doit faire l’objet d’une déclaration d’accident du travail. Plusieurs enquêtes sont susceptibles (vivement conseillées) d’être menées par des acteurs internes (CSE, cabinet externe …) et/ou par des acteurs externes (CARSAT, inspection du travail, gendarmerie…).
6. Vous vous êtes formée à la prise en charge de la crise suicidaire. Pourriez-vous nous définir la crise suicidaire et nous expliquer le rôle d’une assistante sociale à ce sujet ?
Elen Mailfert :
Plutôt que la prise en charge à proprement parler, je suis formée au repérage, à l’évaluation et à l’orientation de la crise suicidaire. Je le suis en tant que professionnelle mais également citoyenne. Je suis également un acteur complémentaire qui peut participer au parcours de prise en charge de la crise suicidaire.
La crise suicidaire est avant tout un processus qui n’est pas linéaire et irréversible. Il peut y avoir plusieurs typologies de crises (psychosociale, traumatique ou psychopathologique) dont le risque majeur est le suicide. Des facteurs de risque ou de protection vont participer à évaluer son intensité, son urgence et sa dangerosité.
L’assistante sociale rencontre quotidiennement des personnes en situation de vulnérabilité sociale, familiale, psychique… Elle a donc un rôle fondamental dans la prévention du passage à l’acte suicidaire. Surtout lorsqu’on sait que le passage à l’acte suicidaire est très souvent précipité par un stress psychosocial : isolement, rejet, difficultés familiales et conjugales, problèmes professionnels, financiers ou encore soucis de santé.
L’assistante sociale est une professionnelle expérimentée qui dispose d’une expertise des réseaux d’acteurs sociaux, médicaux et médico-sociaux sur lesquels elle peut s’appuyer. Elle sait donc faire face aux situations de crises et d’urgence.
Ce qu’il est important de retenir, c’est qu’il ne faut pas avoir peur de poser clairement la question de la volonté de se suicider auprès d’une personne présentant des signaux d’alerte (évoque son envie d’en finir, humeur dépressive ou changeante, voudrait que ça s’arrête…).
7. L’absentéisme ou le turn-over sont des sujets qui préoccupent les entreprises. Quelles sont d’après-vous les actions que peuvent mener les entreprises pour agir en prévention ? Comment pouvez-vous les accompagner ?
Elen Mailfert :
Les enquêtes statistiques ou articles de presse évoquent régulièrement ces sujets. Ce qu’il est important de noter c’est que les chiffres pris en compte par l’entreprise ou les institutions publiques dans la comptabilisation des arrêts de travail pour maladie, accident de travail ou maladie professionnelle ne sont qu’une part émergée de l’iceberg. Par exemple, les accidents de travail sont majoritairement comptabilisés lorsqu’il y a un arrêt de travail qui s’ensuit. S’engager dans un état des lieux détaillé et plus exhaustif de l’absentéisme dans une organisation permet d’effectuer une photographie précieuse de l’état de santé des collaborateurs.
Les actions de prévention primaire des risques professionnels sont bien évidemment les actions premières à privilégier. Les managers sont à, mon sens, le rouage indispensable de toute démarche en santé au travail. Il est donc indispensable de les former et de les accompagner !
Toutefois, l’arrêt de travail est parfois inévitable et il est aussi possible d’agir sur le maintien et le retour à l’emploi des collaborateurs. Après plusieurs années à exercer auprès de salariés en situation d’arrêt de travail, je peux affirmer que les personnes aspirent à reprendre le travail. L’entreprise a toute sa légitimité à soutenir les collaborateurs dans leur rebond en interne ou en externe.
L’assistante sociale spécialisée dans le maintien en emploi et le handicap est un partenaire clé de l’entreprise. Proposer ce type d’accompagnement volontaire et confidentiel peut permettre de :
- Prévenir les ruptures de parcours
- Reconnaitre son collaborateur dans la situation d’adversité qu’il vit
- Proposer de maintenir le lien et limiter l’isolement
- Soutenir le manager et le collectif de travail avec une meilleure visibilité
- Prévenir la rechute en anticipant les modalités de la reprise
- Affiner sa vision stratégique de GPEC
- Concourir à la QVCT….
Vous l’aurez compris, je suis plus que convaincue des bénéfices directs et indirects de ce type de stratégies !
8. Pour finir, vous utilisez les démarches sens de la vie et sens du travail dans l’accompagnement psycho-social que vous proposez aux personnes. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces modalités d’accompagnement ?
Elen Mailfert :
Cette démarche en psychologie existentielle développée par l’Institut national d’étude du travail et de l’orientation professionnelle de Paris. La démarche est originale puisqu’il ne s’agit pas d’une psychothérapie, d’un coaching, ni d’un accompagnement exclusivement centré sur le travail. C’est une occasion de s’interroger sur ce qu’on fait de sa vie ,sur ses choix fondamentaux et de se reconnecter à ce qui fait sens pour soi.
Cette démarche est progressive et se déploie sur plusieurs séances d’une à deux heures. Des supports d’aide à l’élaboration sont proposés au fil de l’accompagnement pour faciliter la pensée et l’expression en séances et en inter-séances. Il s’agit d’amorcer d’éventuels changement et d’engager des actions concrètes pour retrouver un équilibre et prendre en main son avenir. Ces actions peuvent autant concerner la sphère professionnelle que personnelle.
Je m’appuie aussi sur la passation d’un bilan existentiel. C’est un outil psychométrique sous la forme d’un questionnaire multidimensionnel (Bernaud, 2021). Ce bilan, accolé à un protocole de recherche, est mis à disposition des psychologues et professionnels disposant d’un numéro ADELI /RPPS ou chercheurs en psychologie (maître de conférences ou professeur des universités).
Cette série d’entretiens offre un aperçu précis et professionnel du métier d’assistante sociale, mettant en avant l’expérience et les connaissances d’Elen Mailfert, vous pouvez retrouvez d’autres interview de professionnels du social ici : L’entracte sociale
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